10e Colloque annuel CCMO : « Les mondes arabes au prisme des émotions » – Collège de France, Paris, 14-15 octobre 2025
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En ligne et en présentiel, sous réserve des places disponibles
Comité d’organisation : Marion BRETEAU, François CECCALDI, Mériam CHEIKH, Laura RUIZ DE ELVIRA
Comité scientifique : Dima ALSAJDEYA, Laure ASSAF, Özge BINER, Marion SLITINE, Manon-Nour TANNOUS.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Les récents bouleversements au Moyen-Orient et au Maghreb ont généré une intensité émotionnelle, sur place et à travers le monde, véhiculée et visibilisée de façon spectaculaire par les réseaux sociaux. Ces plateformes numériques sont en effet devenues des vecteurs privilégiés pour partager en temps réel les émotions brutes suscitées par les événements politiques et sociaux majeurs connus par la région ces dernières années : l’horreur, la peur et la souffrance ressenties à Gaza face aux images des massacres, constituant à la fois un acte de témoignage poignant et une résistance assumée au discours déshumanisant de l’État d’Israël ; le soulagement, l’effroi et l’incrédulité produits par l’ouverture des prisons en Syrie, symbolisant à la fois libération et traumatisme ; l’indignation face aux migrants refoulés par les forces de sécurité dans le désert en Tunisie avec parfois une approbation déconcertante de la part des populations locales ; le choc déclenché par les tremblements de terre survenus en 2023 en Syrie et en Turquie mais aussi au Maroc ; ou encore la sidéra- tion provenant du Liban, où les images des destructions matérielles produites par l’explosion au port et plus récemment par les bombardements israéliens se mêlent aux messages poignants de la diaspora exprimant une angoisse existentielle.
Ces émotions, cependant, font également l’objet d’une surveillance accrue, souvent soupçonnées ou critiquées : ainsi, les mouvements juifs antisionistes dénoncent la difficulté d’exprimer publiquement leur deuil après le 7 octobre 2023 sans risquer une instrumentalisation politique au service d’une logique guerrière. De même, en Europe et en Amérique du Nord, la nécessité de modérer publiquement colère et indignation est devenue un enjeu crucial, sous peine de subir des accusations d’apologie du terrorisme voire plus récemment aux Etats-Unis, la déportation. Enfin, des émotions spécifiquement politiques telles que la shamāta – cette joie maligne que suscite le malheur d’autrui, particulièrement perceptible chez certains Syriens se réjouissant des difficultés rencontrées par le Hezbollah lors des attaques israéliennes de septembre 2024 – révèlent les dimensions complexes et ambivalentes des affects, marquées par une incertitude croissante, en contexte de crise géopolitique.
Longtemps au cœur des réflexions en sciences sociales, les émotions ont pourtant peiné à être reconnues comme objet d’étude à part entière. Or, au tournant du XXIe siècle un changement s’opère. Partant du principe que l’on ne peut faire de la sociologie, de l’anthropologie ou de l’histoire que de ce qui s’exprime, un nombre grandissant de chercheur.e.s se sont intéressés aux registres, modalités d’expression et conditions d’énonciation des émotions plutôt qu’à un prétendu ressenti impossible à saisir a posteriori par l’observateur extérieur. En parallèle, plusieurs travaux se sont attachés à montrer que le ressenti affectif, tout autant que ses modalités d’expression, relève d’une construction sociale. Loin d’être un phénomène purement intérieur ou un « matériau brut et universel » hors du social (Fer, 2014), l’émotion nous relie aux autres et à notre environnement, qui contribuent à la façonner autant que notre histoire personnelle. Envisagées comme une « expérience » (Quéré, 2012) ou comme une « puissance de transformation » (Petit, 2021), les émotions participent pleinement du lien social : elles agissent sur les individus tout en étant des vecteurs d’action sur le collectif – qu’il s’agisse des normes, des institutions, des habitudes ou des règles.
La manière d’appréhender les émotions varie en fonction des approches disciplinaires. L’anthropologie a montré comment l’universalité émotionnelle est façonnée par les contextes culturels. L’histoire, en s’appuyant sur les archives, les correspondances ou les objets patrimoniaux, a mis en lumière la portée sociale, politique et historique des émotions. En sociologie, et notamment dans la sociologie du travail, la question des émotions a été abordée sous l’angle de leur marchandisation et de leur rôle dans les rapports so- ciaux. Révélant l’existence d’un travail émotionnel (Hochschild, 1983), les études féministes ont particulièrement contribué à souligner l’importance des affects dans les économies du care, du travail domestique ou du sexe, en lien avec les divisions sociales et de genre. Dans le champ politique, c’est la dimension affective et émotionnelle dans l’action collective et l’engagement qui a été étudiée. En termes aréaux enfin, soulignons que les mondes arabes ont été investis comme une véritable « zone de théorie » (Lutz et Abu-Lughod, 1990 ; Crapanzano, 1994), donnant lieu à une production scientifique innovante sur les émotions et leurs régulations sociales, notamment dans le sillage des soulèvements de 2010-2011, sur laquelle nous souhaiterions revenir dans ce colloque afin de mieux comprendre l’avancée des réflexions et leur renouvellement.
Au niveau de la fabrique des sciences sociales, un nombre croissant de chercheur.e.s s’interroge aujourd’hui de façon réflexive sur l’imbrication entre leurs pratiques de recherche et le travail émotionnel. Sujet cher aux anthropologues, la subjectivité de la pratique scientifique est aujourd’hui considérée comme partie intégrante de la production des connaissances. Mais quand le terrain est lui-même sensible, voire « miné » ou empêché, la part émotionnelle du chercheur peut mener à des controverses et des débats que les médias peuvent exacerber, atténuer, manipuler ou invisibiliser. Les prises de position des chercheur.e.s à la survenue des événements du 7 octobre 2023 n’en sont que la preuve la plus éloquente.
Ce colloque invite les spécialistes de différentes disciplines et de différents pays de la région à faire le point sur les recherches en cours, dans un contexte où l’actualité émotionnelle est particulièrement chargée. Il propose d’explorer la manière dont les émotions s’y déploient, circulent et sont régulées ou instrumentalisées, dans une époque où leur expression numérique joue un rôle déterminant dans la compréhension et la représentation des conflits contemporains. Le colloque réunit des chercheur.e.s qui analysent les émotions dans une perspective à la fois théorique et méthodologique, attentive d’une part à leur dimension relationnelle – en tenant compte des circulations et confrontations entre individus, collectifs et institutions – et d’autre part à leurs ancrages matériels, temporels et spatiaux.
PROGRAMME DU COLLOQUE
Mardi 14 OCTOBRE 2025
9h-9h30 : Accueil et mot d’ouverture
9h30-10h15 : Conférence inaugurale de Pénélope Larzillière « Sociologie des émotions politiques : renouveau et perspectives sur les sentiments moraux, au prisme des mondes arabes »
10h15-12h : Panel 1 – Émotions politiques et mobilisations collectives
– DE CLERCK, Dima, Paris I, IFPO : Registres émotionnels d’une guerre sans fin :
affects, appartenances et récits autour de la guerre israélo-libanaise de 2024-2025.
– ABOULHOSN, Lama, Université Sorbonne Paris Nord, École doctorale Erasme
Pléiade : La perception et la transformation des lieux dans le contexte des traumatismes collectifs.
– TAHA, Zakaria, Université Grenoble Alpes : Discours émotionnels en contexte de
transition : les dignitaires religieux dans la Syrie post Assad. Politisation, légitimation et recomposition.
– DANIAUD-OUDEH, Elise, Université Luiss Guido Carli : « Fils des Omeyyades » 2.0 :
engagement virtuel, héritage émotionnel et recherche identitaire sur les réseaux sociaux
syriens post-Assad.
Pause déjeuner : 12h – 14h
14h-15h45 : Panel 2 – (In)-justices émotionnelles transnationales
– ALPES, Jill, Institute of Migration Studies, Lebanese American University: Coerced
returns and emotional justice: Poetic ethnography about return aspirations amidst Syria’s Regime Change.
– TRABELSI BACHA, Hamida, Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis
(ISSHT), Université Tunis El Manar : « La caravane de la résilience al-Soumoud :
circulation et conflictualité des émotions dans une mobilisation transmaghrébine pour Gaza ».
– RZINI, Rabab, Université de Tours : « Nous vous voulons vulnérables mais pas
politiques » : émotions assignées et reconnaissance sous condition dans l’art palestinien diasporique.
– DE GIACOMETTI, Michela, ENSA Versailles : « Émotions et temporalités dans le
contexte diasporique libanais post-2020 ».
Pause-café 15h45-16h15
16h15-17h45 : Panel 3 – Détresses émotionnelles
– GOEURY, David, HES-SO Genève et ZAHI, Khadija Université Cadi Ayyad de
Marrakech : « Ecouter les sentinelles du réchauffement climatique. Ecosentiment et
écoanxiété de jeunes ruraux marocain dans un monde sensible effondré par la
sécheresse ».
– GHORBALI, Foued, Université de Gafsa : De la détresse à l’adhésion : le populisme à
l’épreuve des émotions sociales dans les quartiers populaires tunisiens.
– SAMMOUNI, Mohamed, Co-fondateur coopérative recherche -création “CARCDAM” : Le silence et le malheur militant : comprendre les dynamiques de désengagement des activistes des mouvements de protestation marocains.
MERCREDI 15 OCTOBRE 2025
9h-10h45 : Panel 4 – Héritages émotionnels, traumatismes et silences
– KELLOU, Dorothée-Myriam, journaliste, auteure et réalisatrice: Le fantôme de la statue du sergent Blandan et SAFRAOUI, Kenza-Marie, conservatrice du patrimoine chargée des collections XIX e -XXI e siècles du Musée lorrain, Nancy : Du musée à l’espace public, la commande de la Table de désorientation : restituer le point de vue des anciens colonisés et de leurs descendants face au monument du sergent Blandan à Nancy.
– EVRARD, Camille, CNRS IMAF : Interroger les récits sensibles de militaires
mauritaniens sur la guerre du Sahara (1975-1981). Les territoires instables de l’enquête : dispositifs d’entretiens, reviviscences, expression des émotions et implications politiques.
– SPERA, Simone, Université Paris Nanterre, IREMAM / Pôle Ampiric : Raconter la
défaite : les héritages émotionnels de l’éducation populaire au Liban au tournant des
années 1970.
– IDTNAINE, Omar, conservateur à la fondation nationales des musées : Honte et fierté dans la muséographie du Musée de la Reconstruction d’Agadir : émotions intimes et postcoloniales.
Pause café 10h45-11h15
11h15-13h : Panel 5 – Registres affectifs de l’intime et reconstruction émotionnelle
– ABOU FAKHER, Alma, DEAMM-IFPO : Atonie affective et dissociation émotionnelle traumatique dans le roman syrien post-2011 : le corps comme laboratoire des régimes affectifs
– ARENA, Marta, EHESS : Les formes de l’amour : essai de déconstruction des
stéréotypes sur les rapports de genre et familiaux dans des cas de maternité hors-mariage en Tunisie.
– CHRISTOU Fanny, Swedish Institute of International Affairs, MENA Programme,
Fellow Institut Convergences Migrations: À l’ombre de l’effacement : émotions et luttes mémorielles des jeunes Palestiniens de la Palestine à la diaspora.
– SIRES, Luna, Iremam/Aix-Marseille-Université : Les dynamiques émotionnelles autour du corps des syriennes en contexte d’après-guerre et au-delà.
13h : Déjeuner
À retrouver sur le blog du CCMO
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Chargé de diffusion scientifique (7 octobre 2025). 10e Colloque annuel CCMO : « Les mondes arabes au prisme des émotions » – Collège de France, Paris, 14-15 octobre 2025. IISMM. Consulté le 11 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14v5w

