Appel à communication | Journée d’étude « Crises et prédication : Lexiques, cadrages et temporalités, XIXe-XXIe au Moyen-Orient », 26-27 mai 2025, Ifpo Amman — LIMITE : 12/01/2025

Appel à communication

Journées d’étude

Crises et prédication :

Lexiques, cadrages et temporalités, XIXe-XXIe au Moyen-Orient

Illustration générée avec ChatGPT

26-27 mai 2025

IJF, Ifpo, Amman

La prédication est-elle consubstantielle à la crise ? C’est ce que suggère la sociologie du travail religieux proposée par Max Weber, qui distingue une “cure des âmes” (édification religieuse des individus), caractéristique des situations routinières, d’une “prédication” (instruction religieuse collective modelée sur l’épisode prophétique) qui se déploierait dans des contextes de bouleversements profonds, lorsqu’une religion se répand ou, à l’inverse, lorsqu’elle est menacée par une doctrine concurrente. Ce schéma wébérien s’applique parfaitement aux grands mouvements de prédication islamique de l’époque contemporaine (jama‘at al-tabligh, Frères Musulmans ou encore salafistes), qui tous présentent leur action comme une solution au marasme dans lequel les musulmans ont été plongés par le colonialisme européen puis par les régimes politiques laïcisants qui lui ont succédé. De la même manière, à partir de la fin du XIXe, le renouveau copte en Égypte émerge dans un contexte de colonialisme britannique, d’une crise du politique, de la poussée de la pensée nationaliste puis, progressivement, en réponse à la montée de l’islam politique (El-Khawaga, 1991 : 115-134).

Se pose ici d’emblée la question de savoir si, et le cas échéant comment, les autres traditions religieuses présentes au Moyen-Orient se sont saisies de cette notion de crise durant la même période. Qu’en est-il, en particulier, pour les traditions qui, à l’instar des Églises catholiques, ont vu leur position se renforcer en raison de l’influence européenne ? Une approche comparative et diachronique devra également permettre d’identifier ce qui “fait crise” pour des acteurs religieux donnés à un moment précis de l’histoire contemporaine du Moyen-Orient (défaite militaire, sentiment d’infériorité vis-à-vis de l’Europe, déclin démographique d’une groupe religieux donné, sécularisation des institutions, montée de l’athéisme, etc.). Sur cette base, on mettra en lumière, d’une part, les similarités et divergences entre entreprises de prédication issues des différentes traditions religieuses concernées, et d’autre part, les transformations du discours religieux au Moyen-Orient à partir de la fin du XIXe siècle. À partir de cette première interrogation, les journées d’étude appréhenderont les notions de crise et prédication et leur articulation autour de trois axes: 

1. Premièrement, par quels mots les acteurs de la prédication désignent-ils la crise ? Par exemple, mouvements et auteurs islamiques ont fait grand usage de la notion de “déclin” civilisationnel (Nadwi, 1947) et de la métaphore médicale de la “maladie” (Kandhlawi, 2011), mais leur lexique inclut aussi des expressions moins dramatiques comme l’évocation de “temps difficiles” (Bakkar, 2000) ou, tout simplement, la notion de “crise” (azma), (Al-Suri, s.d.). De manière similaire, les missionnaires chrétiens qui s’installent au Moyen-Orient dès la moitié du XIXe siècle, évoquent « la décadence » des Églises orientales qu’ils se proposent de « régénérer » via leur apostolat. Le terme de teshuva renvoie également au retour vers une identité juive structurée autour de la Torah (Tank-Storper, 2022). Qu’en est-il dans les autres traditions religieuses ? Comment ce lexique a-t-il évolué au fil du temps ?

• La seconde interrogation induite par la question de savoir ce qui fait crise pour chacun des acteurs concernés relève du travail de cadrage (pour utiliser un terme issu de la théorie des mouvements sociaux) opéré par ces acteurs. En effet, les acteurs construisent discursivement la crise et lui donnent un sens particulier : ils mettent en exergue certains problèmes religieux, sociaux ou politiques plutôt que d’autres, leur attribuent des causes spécifiques (colère divine, inaction des croyants, etc.) et proposent des solutions en adéquation avec ces causes (retour à la piété, activisme politico-religieux, aggiornamento ou encore substitution de l’ordre présent par un monde nouveau, comme dans le cas des mouvements millénaristes et messianiques). Ce travail de cadrage est susceptible de varier fortement d’une tradition religieuse à l’autre. Cela tient à la diversité des contextes rencontrés par chacune d’entre elles, mais aussi aux divergences existantes entre courants au sein d’une même tradition religieuse. Ces derniers se distinguent précisément l’un de l’autre par le type de réponse qu’ils entendent apporter à la crise, et donc, en amont, par le sens qu’ils donnent à cette dernière.
• Troisièmement et dernièrement, on s’interrogera sur la possibilité de dissocier crise et prédication. Existe-t-il des formes de prédication qui ne se prévaudraient pas d’une crise pour justifier leur existence ? Serait-ce le cas, par exemple, de la “théologie de la prospérité” propagée dans les années 2000 par l’égyptien Amr Khaled, téléprédicateur-vedette en polo Ralph Lauren ? (Haenni, 2005 : 64-72). Ou encore du phénomène récent des prédicatrices juives orthodoxes utilisant divers moyens et techniques pour re-judaïser un public féminin en Israël ? Le cas échéant, qu’est-ce qui distingue une telle prédication de la “cure des âmes” évoquée par Max Weber, à supposer bien sûr que cette dichotomie soit utile ? Inversement, est-il des cas où la prédication se trouve inhibée (ou, à tout le moins, drastiquement transformée) par la crise elle-même, notamment lorsque cette dernière est d’une gravité extrême (guerre, catastrophe naturelle) ?
  
  Ces deux journées d’étude sont organisées dans le cadre du programme PredicMO (https://predicmo.hypotheses.org/le-projet). Les propositions porteront en priorité sur le judaïsme, l’islam et le christianisme au Moyen-Orient sans exclure d’autres modes de croyances ou dénominations.
  
  Les propositions de communication sont à envoyer en anglais à anna.poujeau[at]cnrs.fr; thomas.pierret@univ-amu.fr; norig.neveu[at]univ-amu.fr et n.nakhle-cerruti[at]ifporient.org; annalaura.turiano@univ-amu.fr pour le 12 janvier 2025 au plus tard. Les candidats recevront une réponse début janvier. Les résumés indiqueront les sources et terrains sur lesquels s’appuiera la communication. Ils ne devront pas excéder 500 mots et seront accompagnés d’une brève présentation de l’auteur (500 mots max).
  
  Le workshop doit préparer une publication collective. Ainsi, les pré-contributions seront à envoyer pour le 7 mai 2025 afin de préparer les discussions. À l’issue du workshop, une première version de l’article sera attendue pour le 7 janvier 2026 (publication prévue dans fin 2026- début 2027)
  
  Comité scientifique :
  
  Najla Nakhlé-Cerruti,CNRS, Ifpo
  Norig Neveu, CNRS, AMU, IREMAM
  Thomas Pierret, CNRS, AMU, IREMAM
  Anna Poujeau CNRS, LESC
  Annalaura Turiano, CNRS, AMU, IREMAM
  
  Références :
  bakkar, Abd al-Karim, ‘Asruna wal-’aysh fi zaman al-sa’b, (notre époque et notre vie en des temps difficiles) Damas, Dar al-Qalam, 2000.
  Haenni, Patrick, L’islam de marché. L’autre révolution conservatrice, Paris, Seuil, 2005.
  kandhlawi Muhammad Zakaria Fada’il al-a’mal, (les vertus de l’action), Saharanpur, 2011 (1e édition en ourdou, 1928=1964). 
  el-Khawaga, Dina, « Le renouveau copte actuel : raisons d’émergence et modes de fonctionnement », dans Cédej, Modernisation et nouvelles formes de mobilisation sociale. Égypte-Brésil, 1970-1989, éditions du Cedej, Le Caire, 1991, p. 115-134.
  nadwi, Abul Hassan Islam and the World: The Rise and Decline of the Muslims and Its Effect on Mankind, UK Islamic Academy, 2003 ( 1e édition en ourdou, 1947).
  Sharkey, Heather (ed.), Cultural Conversions: Unexpected Consequences of Christian Missionary Encounters in the Middle East, Africa and South Asia, Syracuse: Syracuse University Press, 2013.
  al-Suri, Abu Mus’ab, Waqi’ al-muslimin: al-azma wal-makhraj, (la situation des musulmans : la crise et les moyens d’en sortir) (s.d.).
  Tank-Storper, Sébastien, “Proselytism in ‘Jewish Worlds’?”, in Norig Neveu, Karène Sanchez-Summerer, Annalaura Turiano, Missions and Preaching: Connected and Decompartmentalised Perspectives from the Middle East and North Africa (19th-21st Century), Leiden, Brill, 2022, p. 42-66.

Journées-détude-Crise-et-prédication_is_NN_AT